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Tombe, Victor ! Deuxième partie -11-

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Résumé : Eric Darmstetter, lors d'une confession rédigée sans doute bien après les événements, avoue tout à la fois son amour pour Paul, sa honte de n'avoir jamais pu l'assumer, et la haine qu'il nourrit à l'égard de Victor (un "soudard", disait-il peu avant !) et d'Angelo, trop beau, trop aimant. Il est l'auteur de deux lettres anonymes : l'une envoyée chez Paul, mais heureusement détournée par Gabriel, et l'autre aux parents d'Angelo Bianchini. Paul reprend sa narration :

Je n’en pouvais plus : trois jours que je vis dans l'incertitude, que je passe et repasse devant la boutique toujours close, qu’avec obstination j’imprime mes pas dans ceux de l’ange, empruntant inlassablement son itinéraire préféré, sur les pavés des sombres ruelles, sur le sable de la plage de la Gravette où il aime se baigner à la nuit tombée, sur les pierres du chemin du calvaire qu’il gravit en quelques enjambées pour atteindre le phare de la Garoupe : c’est là qu’il se pose enfin, après sa course folle, embrassant du regard, le plus loin possible, la Méditerranée, son destin.
J’ai bien vu que la vieille m’épiait derrière ses persiennes ; comme Gabriel dimanche, mais d’une voix beaucoup moins sûre, je l’ai apostrophée : « Bonjour, madame, dites, vous savez pas pourquoi c’est toujours fermé ? Qui est malade ?  »
«  Mon pauvre, y a personne de malade, voyons : ils sont partis tous les trois, dimanche, il faisait à peine jour. Ils étaient pressés comme s’ils avaient le diable à leurs trousses ! Je les ai pas revus depuis. J’en sais pas plus. »
Je bredouille  « bon, tant pis, c’est dommage : ils font quand même les meilleures michettes, chez Bianchini. » pour donner le change, et me sauve piteusement, sans attendre les inévitables considérations sur la qualité – qui se perd, de nos jours, mon pauvre ! – des différentes michettes proposées par les commerces environnants et reprend mes divagations. 

La boulangerie est restée fermée toute la semaine, puis, dimanche, ils sont revenus. Comme avant, Madame Bianchini s’affairait dans le magasin, distribuant sourires et mots gentils à la clientèle. Je n’ai pas osé approcher et suis allé acheter le pain chez Romier, Place Nationale, loin. Il m’eût été difficile d’entrer, et, sur un ton des plus badins, de questionner : « C’est vous qui étiez malade, Madame Bianchini ? Votre mari ? Votre fils ? ». J’aurais été maladroit, sans doute : « Tiens, d’ailleurs, votre fils, je ne l’ai pas croisé de la semaine, lui qui parcourt le quartier en tous sens, d’habitude ! ». L’idée m’en vint, mais je craignis que mon manque d’aisance ne me trahisse.
En proie à toutes les conjectures, mon cerveau bouillonnant ne connait plus le repos.
Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un lien avec la lettre anonyme interceptée par Gabriel, que la succession des événements ne peut être fortuite.
J’en ai fait part à Pierre Castelain, qui a trouvé l’hypothèse crédible :
- Je souhaite simplement que l’attente ne soit pas trop longue, Paul, et que vous saurez rapidement ce qui s’est passé. Votre situation est douloureuse, car vous ne pouvez agir d’aucune façon. Je comprends que vous n’ayez pu soumettre la maman d’Angelo aux questions qui vous taraudent. Un adulte comme moi, fort de son expérience – oh, bien dérisoire, vous savez ! - aurait peut-être surmonté l’épreuve en usant de diplomatie, car on apprend, à mentir, hélas, à prêcher le faux pour savoir le vrai, comme on dit. Mais vous êtes encore trop pur pour user de ces stratagèmes, Paul, et vous en souffrez. Pour l’heure, je vous fais une ordonnance : du piano, encore et toujours, car vous avez de l’or au bout des doigts !
L’humour empreint d’amicale tendresse m’émeut et parvient à m’arracher un sourire de reconnaissance.
F r a n c e s c a. on Flickr
Pierre a raison : je vais m’étourdir de musique, franchir les obstacles que Chopin et consorts ont semé sur la route de mes études. Je vais jouer à en meurtrir mes doigts, sans ménager mes articulations, je chercherai le son, la fameuse « note bleue » que tous les musiciens espèrent.
Rejoignant l’appartement, j’ai croisé Victor et sa nouvelle conquête, Place Guynemer, d’où partent les cars pour le Cap. Un demi-sourire, un clin d’œil, c’est tout. J’ai pensé au jour de la révélation dans la chambre de la villa de ses parents.
« Je ne sais plus bander pour lui », ai-je constaté.
 À suivre
 
© Silvano Mangana | Gay Cultes 2014

Texte déposé à la SACD sous le n° 000085276

La mer à la Garoupe | Michel Kikoïne 1960 - Merci à B. qui m'a transmis l'image.


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