Quantcast
Channel: Gay Cultes
Viewing all articles
Browse latest Browse all 15050

Tombe, Victor ! (5)

$
0
0

Victor s'était invité dans mon dernier rêve...
Je n’ai pu fermer l’œil, la nuit dernière : Victor m’a invité, ce samedi, à le rejoindre chez lui ; enfin, chez ses parents. « De là, on ira se balader autour du cap » a-t-il précisé. J’exagère : j’ai dormi un moment, je ne sais pas combien de temps. Je me suis levé tôt, réveillé par une sensation que je connais bien, désagréable. Le drap humide, qui pègue, sous moi. Victor s’était invité dans mon dernier rêve, j’en suis certain. J’ai frotté le tissu avec un mouchoir et j’ai fait le lit. Ma mère, qui joue, d’après moi, les naïves, s’en est montrée très étonnée. On s’était donné rendez –vous à deux heures de l’après-midi.
A midi, j’étais déjà prêt, après une bonne heure passée dans la salle de bains. J’ai mis ma chemise préférée, celle à petits carreaux, et un pantalon de toile bien serré, à la mode.

Les parents de Victor habitent une belle villa au Cap d’Antibes, là où il n’y a que des riches. Pour m’y rendre, j’ai pris le car des « Rapides Côte d’Azur », celui qui affiche « Juan-les-Pins par le Cap ». Dans le pays, « Rapides Côte d’Azur », ça fait rigoler tout le monde : pour aller à Nice, on sait toujours quand on part, jamais quand on arrive. La villa est dans un petit chemin tranquille. Il y a des fleurs qui dépassent par le grillage des propriétés. Avant d’arriver chez Victor, j’ai attrapé une branche de lilas et j’avais la tête qui tournait tellement ça sentait bon. Presqu’au bout de l’allée, très grande, la maison de mon copain m’attendait.  J’ai tiré sur la poignée de la chaînette qui actionne la cloche et Victor est sorti sur le pas de la porte, et m’a dit d’entrer, sur un ton qui m’a fait penser qu’il avait complètement oublié qu’on devait se voir. J’ai pensé « encore heureux qu’il soit pas sorti, sinon j’aurais fait tout ce trajet pour rien et j’aurais gâché mon après-midi ». Comme il faisait très chaud, la maison était plongée dans la pénombre, volets fermés. C’est vraiment très grand, chez eux, mais j’ai fait comme si je n’étais pas impressionné. Dans le salon, qui fait bien trois fois la salle-à-manger de chez mes parents, il y avait sa mère, une longue dame brune qui sent très bon. Elle ressemble à Audrey Hepburn, sa mère, mais en moins belle : même si elle s’habille comme mon actrice préférée, elle n’a pas cette classe, cette façon de marcher comme sur des nuages, ni ce cou de cygne de la vedette de cinéma. J’ai dit « bonjour madame », mais elle m’a à peine regardé, se contentant de hocher la tête et de dire « ‘jour », sans plus. Elle feuilletait distraitement un magazine féminin pas plus intéressant que moi, apparemment. Victor m’a proposé un Coca et j’étais stupéfait : chez moi, quand un copain vient, j’attends toujours que ma mère lui offre à boire. Je ne peux pas aller au réfrigérateur, l’ouvrir et prendre ce que je veux, c’est impensable. De plus, chez nous, on achète du Coca uniquement pour les grandes occasions, comme mon anniversaire. Le reste du temps, c’est de l’Antésite ou des sels lithinés, une poudre en sachet qu’on dissout dans l’eau et qui la fait pétiller. On a bu le soda dans la cuisine, qui est immense, en se racontant pour la dixième fois « Le grand restaurant » avec Louis de Funès, qu’on a vu pourtant ensemble le mois dernier. Victor se tordait de rire en revoyant en paroles la scène ou le comique met une perruque argentée pour aller espionner ses employés. Il a dit « tu sais, quand il fait la tapette ! », et il riait de plus belle. Et voilà, encore ce mot, tapette, qui revient ! Peut-être sonne-t-il à mes oreilles un peu plus fort que les autres, et je ne sais pas pourquoi.
La mère de Victor est entrée dans la cuisine sans un regard pour nous, elle a juste dit à Victor « je vais à l’hôtel ! ». Je me suis demandé, bien sûr, ce qu’elle pouvait bien aller faire dans un hôtel. Victor a vu ma surprise, et m’a dit sa mère avait un hôtel quatre étoiles à elle au Cap. Il avait l’air d’en être drôlement fier. Moi, j’aurai des choses très intéressantes à raconter à ma mère, ce soir. Elle est très contente que je fréquente des gens « comme il faut », elle dit.
Victor m’a dit qu’il me le montrerait, l’hôtel, quand on irait à la mer, après. On est passé devant, et c’est vrai que c’est très très beau : un grand hôtel tout blanc au bout d’une allée bordée de lauriers en fleurs ; de chaque côté du bâtiment, on voit la mer et la plage privée où les clients, et eux seuls, ont accès. Victor m’a dit qu’il y avait des chambres qui coûtaient mille francs par nuit, un peu moins que le salaire de mon père chaque mois.
... et, parmi eux, le fils Orsoni...

On est allés jusqu’à la plage Keller, où il faut payer pour s’installer sur un matelas ou un transat. D’ordinaire, avec mes copains de la vieille ville, on va à la Salis : c’est gratuit, mais l’été il y a beaucoup trop de monde, des gens avec des transistors, des odeurs de beignets qui proviennent des kiosques où on achète les sucettes glacées, et, vers cinq heures, le vendeur de journaux qui s'égosille « demandez France Soir ! » à longueur de plage ; des baigneurs courent sur le sable en sortant de l’eau et vous éclaboussent –et sous le soleil, ça fait des frissons, c’est froid ! -, mais on ne proteste pas (on ne sait jamais…) ; des mamans passent de l’ambre solaire sur la peau des enfants qui disent, en courant vers la mer « regarde, maman, je vais jusqu’à la première bouée, tout là-bas ! Tu regardes, hein ? ». Et puis il y a les grands qui jouent au volley et, parmi eux, le fils Orsoni, mon voisin de palier ; quand je le vois envoyer le ballon de ses deux mains croisées, bien calé sur ses jambes, je suis comme ébloui. Je pense « c’est le plus beau », mais je garde ça pour moi.
 Chez Keller, c’est très différent : même si la plage est bondée, il y a beaucoup moins d’animation. Parfois, sur le ponton de bois, on voit des touristes étrangers qui dinent à six heures de l’après-midi. Une bouteille de vin trempe dans un seau accroché à leur table, et des salades gigantesques leur sont apportées par le serveur qui porte une veste blanche et un pantalon noir même s’il fait une chaleur étouffante. La patronne connait Victor. D’ailleurs, il va aux toilettes, et personne ne l’empêche de s’y rendre, pas comme à Juan où on te demande toujours si t’es « sur cette plage », et tu dis oui avec une trouille qui te donne de plus en plus envie de pisser.
« On vient se baquer quand on veut, ici. C’est des amis de ma mère, moi je paie pas ! » me dit-il à son retour. Je pense « quel frimeur ! », mais je l’admire quand même un petit peu.
Après, on a marché jusqu’à l’amphithéâtre et on a discuté, assis en tailleur, tout au bord du ponton, face à la mer, où, souvent, tous les deux, on prépare un monde nouveau.

... des sels lithinés...


(c) Silvano Gay Cultes 2013
Si vous avez manqué le début : clic 
(il vous faudra dérouler jusqu'au numéro 1)





J’ai mis ma chemise préférée, celle à petits carreaux...


Viewing all articles
Browse latest Browse all 15050

Trending Articles