J’ai beaucoup de chance de vivre dans une époque où la jeunesse aspire autant à la liberté, après avoir été, pendant des siècles, totalement ignorée par la société des adultes. A part les calabrais, et, évidemment, Darmstetter, je ne vois pas qui pourrait me chercher noises pour mes différences. Les gens comme moi ne manquent pas dans cette ville, que je sais reconnaitre à une attitude, un regard, un ton particulier, sans qu’ils soient pour autant de ces grandes folles qu’on voit dans les sketches, à la télévision, ou que certains, d’esprit épais, imitent grossièrement quand ils racontent une blague de pédés, comme le fait parfois Victor que je hais dans ces moments où toute la grâce que je lui connais semble s’être évanouie, comme s’il était le jouet d’un mauvais sort, lui, Victor, qui m’a dit pas plus tard qu’hier qu’il faudra penser à inverser les rôles quand « on le fait », comme il dit, ce à quoi je lui ai répondu qu’on essaierait mais que je craignais de jouir trop vite, comme l’autre jour, ou il a commencé à sucer ma bite avec tant d’ardeur que j’ai dû écarter sa tête aussitôt pour ne pas juter en lui. Contrairement à moi, Victor est gentil avec les filles, trop. Il persiste pourtant à les appeler « gonzesses », même si, venant de lui, le terme n’a rien de péjoratif. Je n’ai pas très envie d’aller à cette boum, samedi, pour l’anniversaire de Nadine, la fille du dentiste, où il veut que je l’accompagne. Je l’ai suivi une fois, déjà, dans l’une de ces sauteries dérisoires souvent ratées, où le but des filles et des garçons est de se fourrer la langue dans la bouche, exercice que je trouve ridicule et dégoûtant à la fois. A notre âge, on doit « sortir » avec une fille. Et puis après, on doit « casser ». On dit « je sors avec unetelle » pour se faire mousser, et puis, quelque temps après, « j’ai cassé », pour frimer : c’est le garçon qui doit « casser » s’il veut être considéré comme un vrai mec.
Je sais que je ne vais pouvoir éviter d’en passer par là si je veux garder quelque autorité, même si j’imagine fort bien que ça doit jaser, ici et là, sur mon compte. Il ne me déplairait pas, de plus, de brouiller les cartes et de créer une complicité nouvelle avec des garçons que j’aime bien. Je ne suis pas doué en calcul au collège, mais, par ailleurs, je sais tirer parti de tout ce qui va dans mon intérêt. Victor l’a compris, qui n’est plus tout à fait mon maître. J’ai changé en quelques mois : je le sais à ma merci, puisqu’à ce jour, moi seul suis à même de satisfaire son féroce appétit. S’il est mon premier amour, je suis sa première ivresse, je le tiens par le bout de la queue. Je souhaite que sa première relation avec une fille tarde le plus possible. Mais je sais que c’est inévitable, il en parle trop. Mais Victor parle tellement. Je crois qu’il a des sentiments pour moi, bien qu’il joue au garçon qui a un pote avec lequel il baise en attendant mieux. Oui, je veux croire ça. Je ne lui ai jamais dit « je t’aime », jamais en face. Sans doute que cette expression du sentiment dépasserait son entendement. Je me contente de lui dire, parfois, après qu’on s’est assouvis : « T’es bien, Victor, ça va ? » Et lui, dans un grognement, selon les jours répond « ouais, c’était cool » ou « super ! » ou même, une fois, « génial ! ». Un jour de montage dans la petite cabine, après avoir joui, il m’a fait une bise sonore sur la joue, comme un merci. Mais ça ne va jamais plus loin. Pour lui, il n’y a pas d’amour entre garçons.. Il m’a donné son opinion sur la question d’un ton très sec, presque désagréable. Je me venge comme je peux de ces petites blessures assez douloureuses. J’ai rejeté une proposition de rejoindre notre antre, la semaine dernière, et il a fait la gueule. J’étais sacrément fier de moi. Le soir même, j’ai inondé mon traversin. Rien n’est simple.
Si vous avez manqué le début :
(A suivre)
(c) Silvano Gay Cultes 2013
Si vous avez manqué le début :
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| Je le tiens par le bout de la queue. |